La domestication du cheval

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L’aventure humaine en était encore à ses très longs débuts, quand le cheval fut l’objet de l’attention de l’homme. Au paléolithique, où l’on chassait pour subsister, les hommes ont fait grande consommation de cette espèce, particulièrement abondante au plus fort de la dernière glaciation (glaciation de Würm), qu’était le cheval Ils l’ont représenté notamment sur les parois de leurs cavernes, à la fois abris et sanctuaires. Le cheval faisait concurrence aux autres gibiers : bisons, aurochs, bouquetins, etc. Comment le cheval est passé du statut de gibier à celui du compagnon de l’homme tel que nous le connaissons aujourd’hui ? Quel à été le processus de domestication et surtout pour quelles raisons l’homme à souhaiter dompter l’animal?

domestication du cheval

Le cheval : du gibier à l’animal domestique

Au demeurant, il n’est pas interdit de penser que l’homme ait pu éprouver le besoin de se constituer des réserves alimentaires sur  pied  en gardant vivants certains des chevaux (ou des rennes) qu’il avait piégés dans des corrals. Cependant, s’il avait déjà une première expérience de domestication avec le chien, il ne poussa pas la relation aussi loin avec le cheval.

Puis vint, avec la fin de la glaciation, le recul de la steppe, une toundra, et l’avancée de la forêt partout en Europe occidentale. Le cheval a disparu temporairement des faunes archéologiques (en contextes épipaléolithique et mésolithique) et paléontologiques. Au début de l’holocène, vers 8000 av. J.-C., on a vu que le cheval s’est retiré de son aire occidentale, conservant çà et là des îlots de populations relictuelles, notamment en Espagne et en France, le gros des populations équines se répartissant entre l’Est européen et l’Asie centrale. Pendant la plus grande partie du néolithique, le cheval est absent ou presque. Mais au néolithique récent (début du IVe millénaire av. J.-C.), sa fréquence augmente ponctuellement en Europe centrale, probablement à la faveur du déboisement qui a mis de vastes terrains découverts à sa disposition.

Ces chevaux, contemporains par exemple de la culture Altheim (3800 à 3400 av. J.-C.), se situaient entre 125 et 145 cm au garrot.

Les débuts de la domestication du cheval

Dans le contexte culturel et scientifique du XIXe siècle, où les races domestiques étaient en voie de sélection et de fixation, avec la création des livres d’origines (herd- books et stud-books), les spécialistes de l’époque voulurent trouver ou imaginer, pour chaque type d’une espèce domestique, un ancêtre particulier.

Entre autres:

–   Sanson (1869) identifiait huit types de chevaux, chacun avec “son” ancêtre ;

–   Franck (1875) distinguait plus simplement, parmi les chevaux domestiques, les chevaux d’origine orientale à “sang chaud” et les chevaux d’origine occidentale à “sang-froid” ;

–   Antonius (1922) différenciait les trois groupes suivants: Equus orientalis descendant du Tarpan, Equus férus descendant du Cheval de Przewalski et Equus robustus descendant des chevaux pléistocènes d’Europe occidentale (cheval germanique…).

Ces théories sont aujourd’hui dépassées et l’on en revient à l’opinion première de Darwin (1868), qui admettait l’origine mono spécifique du cheval domestique. Mais, dans l’aire de distribution eurasiatique encore très vaste que conservait le cheval holocène, on conçoit que de nombreuses formes locales se soient trouvées, adaptées à des conditions de milieux diverses, et que la domestication du cheval, si elle a été pluri- centrique, ait pu faire appel à différentes formes sauvages de la même espèce, comme ce fut le cas du chien ou du bœuf.

Des formes locales de chevaux, on en connaît au moins deux, l’une en Europe, récemment disparue, le Tarpan (mot kirghize pour cheval sauvage), et l’autre en Asie centrale, toujours vivante, le Cheval de Przewalski (ou Taki, en Mongol). Ce sont les ancêtres du Tarpan qui ont été domestiqués, sous leur forme steppique (Europe orientale), scythe (Balkans et Anatolie), sylvestre (Europe occidentale du Nord) ou lusitanienne (péninsule Ibérique).

Quelques exemples de premiers chevaux domestiqués

Afin d’illustrer notre propos, nous allons vous présenter deux exemples de chevaux d’autrefois

Cheval du passé : Le Tarpan

Le Tarpan, dont on pense qu’il avait le même nombre de chromosomes que le cheval domestique (2n = 64), fut décrit par le naturaliste allemand Gmelin en 1771. C’était un petit cheval de 135 à 150 cm au garrot (l’unique exemplaire conservé mesure 133 cm), à la robe gris souris, plus claire en hiver, avec une raie noire sur la ligne médiane dorsale, la crinière courte et raide, la tête courte et mince. À propos de la robe, Hérodote (l’Enquête, IV, 52) parlant de la Scythie, évoque ce grand lac, mère du fleuve Hypanis (le Bug), “autour duquel paissent des chevaux sauvages, qui sont blancs”.

Ce même animal aurait été chassé sporadiquement pendant la période épipaléolithique, puis au néolithique, où on le trouve, à l’occasion, dans les restes des faunes consommées par les néolithiques. Il aurait été domestiqué vers la fin de cette période. Il vivait encore à l’état sauvage en Pologne au XVIIF siècle, mais il fut victime d’une chasse outrancière durant tout le XIXe siècle et les derniers individus en semi-liberté ont disparu à Askanya Nova en Ukraine avant 1876: ces chevaux hors de contrôle étaient accusés de s’attaquer aux récoltes et de saillir les juments domestiques. Ce cheval survécut en captivité jusqu’au début du XXe siècle et le dernier représentant de la (sous-) espèce mourut en 1918.

Nota: quelques races actuelles isolées se prévalent d’une filiation plus ou moins directe avec le Tarpan: les petits chevaux pyrénéo-cantabriques (Pottok, Asturien, Galicien, Garrano, Mérens), les poneys britanniques (Dartmoor, Eriskay…) et le Konik Polonais. Un Tarpan reconstitué par les frères Heckest est visible au zoo de Munich-Hellabrunn.

Cheval du passé : Le cheval de Przewalski

Le cheval de Przewalski n’est pas sans nous rappeler les chevaux représentés dans les peintures rupestres. Le Cheval de Przewalski possède 2n = 66 chromosomes. Complètement ignoré en Occident, il fut découvert en Dzoungarie par l’explorateur russe Nikolai Mikhaïlovitch Przewalski (1839-1888), au cours de sa 2e expédition en Asie centrale, en 1876. Il fut décrit par Poliakov en 1881 : le cheval mesure environ 137 cm au garrot, il est plus ramassé que le Tarpan, il a le chanfrein busqué, les dents particulièrement hautes et donc les mâchoires épaisses, une robe isabelle, une crinière courte et dressée. Il rappelle certains chevaux de l’art pariétal franco-cantabrique (Lascaux, Labastide, etc.). Comme le Tarpan, le Cheval de Przewalski fut trop chassé et disparut de son milieu naturel au XXe siècle. Mais l’espèce (ou la sous-espèce) eut plus de chance: une cinquantaine de sujets furent capturés en 1901 par Hagenbeck, un homme de spectacles de cirque hambourgeois ; ce lot est à l’origine de tous les chevaux de Przewalski vivant encore aujourd’hui et qui a permis leur réintroduction en Mongolie (1992).

Où la domestication du cheval  s’est-elle produite?

C’est dans l’aire de distribution naturelle du cheval sauvage que la domestication eut lieu, à partir du moment où la présence des chevaux, les besoins des hommes et leur “réceptivité” à l’idée de domestiquer une nouvelle espèce ont été en accord.

–   Un foyer de la domestication du cheval pourrait être trouvé entre moyenne Volga et Oural du sud, quelque part chez les Tatars, les Bashkirs ou les Kazakhs d’aujourd’hui, dans des sites néolithiques datés du VIe au IVe millénaire av. J.-C. Mais les sites de la deuxième moitié du Ve millénaire appartiennent à une culture “sans chevaux”, la culture Dniepr-Donets ; la culture “avec chevaux” de Serednij Stog ne viendra qu’ensui- te. D’autre part, les sites kazakhs où, pour l’instant, on a trouvé des chevaux en grand nombre, ne remonteraient qu’à la fin du IIIe et au début du IIe millénaires (site de Botaj, près de Petropavl, où 99 % du nombre des restes appartiennent aux chevaux, d’âge supérieur à 3 ou 4 ans et de taille comprise entre 128 et 152 cm).

–   Un autre foyer de domestication pourrait se situer plus à l’est, au Turkestan, vaste région située au nord et à l’est de l’Iran et de l’Afghanistan, entre la mer Caspienne et le Sin-Kiang des Ouïgours, mais rien n’a été précisé à ce jour.

–   C’est plus à l’ouest, dans les plaines de l’Ukraine, que le site de Dereivka, dans sa phase Ha, datée de 3750 à 3350 av. J.-C. et appartenant à la culture chalcoli- thique (“énéolithique”) de Serednij Stog, a livré des restes de chevaux dont on a reconnu, pour la première fois, le caractère domestique.

Pourquoi le cheval fut-il domestiqué?

 

Ce n’est certainement pas parce que le cheval est plus abondant sur certains sites de la fin du néolithique de l’Europe centrale qu’il faut en conclure qu’il était nécessairement domestique: il a pu être chassé, comme

il l’avait été aux temps paléolithiques. Disposant déjà des principales espèces productrices de viande (mouton, chèvre, bœuf et porc), l’homme aurait été curieusement inspiré, a priori, d’entreprendre la difficile domestication d’un animal puissant et rebelle dans ce seul but. En revanche, rien ne s’opposait à ce qu’on le chassât, sans pour autant avoir dû le domestiquer, lorsqu’il fut redevenu localement abondant.

D’autres raisons de la domestication du cheval doivent donc être recherchées, qui seraient plutôt d’ordre culturel et économique, et qui sont certainement en relation avec l’habitat naturel des hommes, l’immensité des étendues de l’Europe orientale et ses ressources. Anthony fait une analyse approfondie des circonstances écologiques et anthropologiques qui ont entouré le contexte de Serednij Stog. Il souligne que l’innovation – en l’occurrence la domestication d’une nouvelle espèce – est fille de la nécessité : une pression démographique s’est exercée aux limites de la steppe ukrainienne et des forêts bordant les fleuves, zones écologiquement les plus riches. Des populations néolithiques de la culture de Cucuteni-Tripolije se sont déplacées jusqu’au Dniepr, où elles sont entrées en contact, vers 4500 av. J.-C., avec les populations mésolithiques de la culture indigène Dniepr-Donets I, auxquelles elles ont communiqué les techniques de l’élevage pastoral.

L’accroissement de la population aurait déterminé une diminution des ressources naturelles, compensée par l’élevage et la culture de l’orge. Mais la démographie et la sédentarisation firent reculer les bois et leurs habitants, gibiers privilégiés; le cheval, qui hantait la steppe de l’arrière-pays, prit de l’importance dans les tableaux de chasse. La culture Dniepr- Donets II se convertit, vers 4200 à 4100 av. J.-C., dans la culture Serednij Stog, qui est marquée par la déforestation, une plus grande dépendance vis-à-vis des ressources de la steppe et de l’utilisation du cheval. Entre 4300 et 3800 av. J.-C. survint un épisode climatique plus froid, l’oscillation de Piora; ce passage fut peut-être un auxiliaire précieux dans le processus de la domestication, en motivant les hommes, dont les troupeaux de moutons et de bœufs résistaient mal au refroidissement. Les chevaux constituaient une réserve alimentaire mieux adaptée aux rudes conditions, il devenait avantageux de la contrôler. On est donc encore loin des débuts de l’équitation au sens propre du terme.

Au début des âges des métaux, il devenait urgent de développer les moyens de transport des combustibles et des métaux. Connaissant déjà la “technologie” de la traction par les bœufs, probablement aussi par les ânes, il suffisait d’y adapter le cheval. Mais cette proposition est en réalité plus un effet qu’une cause de la domestication du cheval, car les conséquences d’une innovation ne peuvent pas être anticipées.

La question, on le voit, reste ouverte.

Pour en savoir plus : les traces archéologiques de la domestication du cheval 

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