Les secrets des chevaux de cinéma

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Des animaux domestiques, le cheval est, avec le chien et le chat, celui que l’on rencontre le plus souvent au cinéma. Comme l’histoire des peuples et civilisations s’est écrite à dos de cheval, il est logique que le cinéma s’en soit inspiré pour créer les grandes fresques historiques, les westerns et les films de cape et d’épée, thèmes – entre autres – dans lesquels les chevaux jouent un rôle essentiel. Nous sommes loin de l’époque où le 7e art se souciait peu du bien-être des animaux (notamment des chevaux) lors des tournages. Protégés depuis par des lois, les chevaux le sont aussi par un entraînement physique très sérieux, un dressage de haut niveau et une complicité totale avec le dresseur.

un film avec un cheval

L’imagination débordante des scénaristes engendre parfois des scènes dont la réalisation serait inconcevable sans un recours aux trucages et aux effets spéciaux: des moyens techniques et pratiques qui permettent de réaliser des actions dangereuses ou particulières en toute sécurité. Le cheval peut alors devenir le moteur d’une multitude d’effets. Du simple cheval emballé au cadavre, en passant par des chutes spectaculaires ou d’impressionnants effets pyrotechniques: tout est pratiquement réalisable ou… “truquable”. Mais n’est pas cheval de cinéma qui veut !

Le cheval, une star de film parmi les autres

Si le vedettariat revient davantage aux chevaux cascadeurs, les petits rôles ne sont pas à négliger pour autant. Les chevaux de figuration, ces extras souvent ignorés sont, à leur niveau, aussi indispensables que les autres. Le travail qui leur est demandé ne s’écarte guère de leur vie quotidienne. Calmes, patients, obéissants et sans vices, ils font partie des décors, qu’ils soient montés, attelés ou à l’attache.

Une autre catégorie, et non des moindres, est celle des chevaux de comédiens. Parfaitement dressés, ils vont permettre aux comédiens (pas toujours cavaliers) de ne penser qu’à leur texte et d’évoluer comme si l’exercice leur était coutumier. Lorsque la mise en scène exige des actions délicates ou dépassant le niveau équestre du comédien, c’est un sosie du cheval, monté par un cascadeur, qui prendra le relais.

C’est le cheval ibérique qui retient le plus souvent l’attention des dresseurs. Doté d’une grande générosité de cœur, il est aussi courageux que fier. Ses allures élégantes lui confèrent une grâce et une légèreté qui donnent à l’action tout son panache et, petit détail amusant, le côté un peu cabot de la race l’installe dans une confortable attitude de star! Qualités morales mais aussi qualités physiques: les critères morphologiques des chevaux ibériques sont tout particulièrement adaptés à cette forme de travail. Les autres races ne sont pas pour autant dénigrées: qui peut avoir oublié Crin blanc, le fier petit camarguais; Black Beauty, le Pur- Sang noir vedette d’une fameuse série télévisée ou, M. Ed, un pur Palomino ?

L’entraînement d’athlète des chevaux de cinéma

A partir du dressage élémentaire, une formation polyvalente est mise en route. Les premiers mois sont consacrés à la préparation physique. Basé sur la musculation complète, la mise en souffle, les assouplissements au cours de nombreuses sorties en extérieur (qui facilitent aussi l’accoutumance aux obstacles naturels et éléments de la nature – l’entraînement est ponctué de séances de manège.

Déplacements latéraux, reculers, départs au galop, arrêts nets, changements de pied… les leçons se suivent sans relâche. La réaction aux aides doit être immédiate et l’effet obtenu d’une exacte précision. Souple, soumis, équilibré, le cheval va ensuite apprendre à exécuter tous les airs de haute école dont la finesse pourrait sembler incompatible avec les cascades ou les effets spéciaux mais c’est bien le contraire: le cheval va compter ou écrire à partir des gestes du pas espagnol ; une levade sera transformée en cabrade agressive ; une ruade vicieuse aura pour base une croupade. Ainsi, les airs relevés trouvent une autre finalité dans les effets spéciaux.

Le travail à longe prend aussi beaucoup de temps car c’est ainsi que le cheval apprend à obéir à la voix, seule aide à la disposition du dresseur lorsqu’il s’agit de faire travailler un cheval en liberté devant une caméra. L’emploi du temps comprend aussi des séances d’attelage, des parcours de cross, de la voltige et, une initiation progressive à “l’art de la chute”. Sachant qu’un cheval de cascade n’atteindra sa pleine maturité qu’entre six et huit ans et, que sur 100 chevaux, à peine 5 parviendront à être “confirmés”, on peut mieux mesurer les difficultés du métier et reconnaître la valeur inestimable de ces chevaux. On peut compter les dresseurs de chevaux pour le cinéma, de par le monde, sur les doigts d’une main ! Il est aussi intéressant de remarquer qu’en Europe, la carrière d’un cheval de cascade peut couvrir 30 ou 40 films tandis qu’aux Etats-Unis, les chevaux sont préparés pour un film précis et les dresseurs s’en séparent dès le tournage terminé. Les européens sont peut-être plus sentimentaux que comptables…

De tous les effets, les chutes sont certes les plus spectaculaires mais aussi les plus délicates. Dans cette nouvelle étape du dressage, la condition physique du cheval est comparable à celle d’un athlète: souffle, musculation et souplesse pour réussir “à se plier dans tous les sens”.

Une fois encore, soumission, aides du cavalier et confiance vont s’unir pour que le cheval obéisse inconditionnellement et sans risques. C’est à l’homme de ne jamais le tromper s’il veut ne former qu’un avec cette monture, complice et généreuse. L’apprentissage des chutes commence à l’arrêt, à partir de la station debout ou assise. Le choix du sol est essentiel afin que le cheval ne souffre jamais et ne se blesse pas; c’est aussi à cette condition qu’il s’exécutera sans appréhension ni réticences ! Au fur et à mesure que l’animal maîtrise ses mouvements, on lui demandera de tomber du pas, du trot, du galop puis, du grand galop. Habitude ou traditions, les chutes se font toujours sur le flanc gauche. Par un effet de rêne semblable à une rêne d’appui, le cavalier ramène la tête du cheval sur le côté, ce qui, à la fin du 3e temps du galop, aura pour effet de le déséquilibrer. Le cavalier place simultanément tout son poids sur la gauche et l’animal se reçoit pratiquement à plat sur le flanc.

Les méthodes liées aux chevaux de cinéma

 

Les premiers chevaux de cinéma n’étaient pas utilisés par des hommes de cheval et encore moins sous les directives de gens compétents en matière équestre. La quête du “spectaculaire” était l’unique but, surtout pour les chutes.

Il existe cependant une nuance entre “demander” au cheval de tomber et “le faire” tomber. Dans le premier cas, il s’agit de dressage pur, dans le second, c’est l’emploi d’artifices qui permet d’obtenir une chute dans laquelle le cheval ne pourra malheureusement contrô1er aucun de ses mouvements ni utiliser les réflexes essentiels à sa protection.

Dans ce domaine, le running W ou “tirette” a eu son heure de gloire : c’est un système d’entraves posées sur les antérieurs du cheval et reliées à la main du cavalier par un câble. En tirant sur le câble lorsque le cheval est lancé, les antérieurs se replient sous le poitrail et la chute est inévitable. Cet accessoire, trop souvent utilisé par des cavaliers incompétents a été la cause de nombreux accidents.

Au rang des objets que l’on pourrait qualifier de torture, il y a eu “la trabonne”, une sorte de tirette reliée à un câble fixé au sol : au fur et à mesure que le cheval s’éloigne du point d’ancrage, le câble se déroule et, en bout de course, c’est l’inévitable chute. Pire encore: la fosse, une tranchée camouflée, large de quelques mètres et dans laquelle vont tomber les chevaux, trahis par le sol qui se dérobe hypocritement sous leurs pieds. L’effet à l’écran était spectaculaire mais à quel prix ! Il n’y a pas un scénario au monde, pas une mise en scène, pas un cascadeur qui vaille le prix d’autant de dégâts et de souffrances inutiles.

Depuis que l’homme de cheval s’est intéressé au travail des chevaux de cinéma, l’action spectaculaire est devenue le fruit d’un travail qui puise ses sources dans l’art équestre au sens le plus large du terme. Le cheval est dressé et ces artifices ne sont plus nécessaires. Si l’on cumule le temps passé à recruter les chevaux, les heures de dressage plus les liens affectifs qui s’établissent entre le maître et ses élèves, nous ne trouverons pas un dresseur qui accepte de faire encourir des risques à ces fidèles compagnons de travail. Si un effet dépasse les limites du possible, c’est le recours systématique aux trucages conjugués avec le dressage. Un cheval qui boite à l’écran, c’est un effet de dressage; si un lion l’attaque c’est une superposition d’images ; la chute dans un ravin est confiée à un mannequin; le cheval en feu est recouvert d’un caparaçon en amiante…

Dressage et réglementation des chevaux de cinéma d’aujourd’hui

Au début des années 1900, l’une des composantes essentielles des films muets était l’action. Pour la réaliser, on n’hésitait pas à placer les chevaux dans des situations dépassant aussi bien leur entendement que leurs capacités physiques. Heureusement, il a fallu peu de temps au public pour réfléchir, s’insurger et imposer un frein à ces actes démesurés.

Dès 1940, une association américaine de protection des animaux: The Humane Association, ouvrit un bureau au sein des studios hollywoodiens et instaura une stricte réglementation quant à l’utilisation des animaux sur les plateaux de tournage. Le public a néanmoins pu continuer à frissonner devant les écrans mais

les barbelés étaient en plastique, les armes épointées, les fenêtres fabriquées en cellophane ou en sucre; les barrières, les portails et les cloisons construits en balsa ; des systèmes de déverrouillage ont équipé les attelages devant se retourner et l’emploi de mannequins est devenu systématique dans les scènes fatales.

Le travail des animaux pour le cinéma a parfois été si remarquable que l’A.H.A. leur a crée un oscar récompensant le meilleur rôle animal de l’année: la Patsy Award Picture Animal Top Star of the Year. Sur la liste des vainqueurs, nous retrouvons – entre autres – Smokey, le cheval gris du film Cat Ballou mais aussi Plipper le dauphin, Clarence le lion qui louche, Lassie, Judy le singe de Daktari… En Prance, Cinémalia, le festival des longs métrages animaliers de Beauvais (Oise) a primé “Sueno”, le cheval de Lucky Luke et, dans un autre domaine, le grizzli de l’Ours. A Cabourg, tous les ans, Equidia récompense les meilleurs courts métrages et documentaires équestres. Présentés à ce concours, Crin-Blanc, litchi, Apollo, Diego, Chepa et tant d’autres n’auraient sûrement pas été les derniers !

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